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Musées

Ossip Zadkine,
Femme à la cruche,
1923, bois de noyer,
139 x 40 x 47 cm
PMVP, photo : Ph. Ladet
© ADAGP


Noëlle Chabert, conservatrice du musée Zadkine

Ossip Zadkine fut un grand promoteur de la taille directe. La Femme à la cruche en est un témoignage marquant.

Cette sculpture en bois de noyer a été réalisée en 1923 par Ossip Zadkine (1890-1967). Elle mesure 140 cm de hauteur et s’intitule Femme à la cruche ou Porteuse d’eau. Mon choix s’est porté sur cette oeuvre car elle me paraît très emblématique de l’œuvre de Zadkine. Elle condense ses différents styles : du primitivisme, illustré par cette grande liberté d’écriture, à ses débuts dans le classicisme, marqués par l’équilibre. Son histoire est un peu particulière. A l’origine, elle était peinte en rouge et avait les cuisses plus longues. L’artiste lui a retiré sa couleur et a raccourci les jambes de 20 cm pour lui donner davantage de stabilité et affirmer la torsion. Le primitivisme fut pour l’artiste, un moyen de rompre avec les conventions de la sculpture académique de l’époque. Grand promoteur de la taille directe, il prônait un retour à la tradition romane. Il sculptait dans le tronc d’arbre dont les formes, les nervures guidaient sa réalisation. Sa technique se caractérise par le traitement en larges plans et la fusion des différents points de vue.

Cette sculpture est exposée au sein du musée parmi un ensemble de huit sculptures en bois de Zadkine, depuis les premières datées de 1918 jusqu’aux œuvres des années 50. Le fil conducteur de cet ensemble est la référence à l’arbre et à la taille directe. La Porteuse d’eau n’est peut-être pas le chef d’œuvre de Zadkine, mais elle reflète néanmoins toutes les directions de son art. Il vient de sortir du cubisme et cette libération est très communicative à travers cette sorte de retour à sa propre source, celle du végétal. On retrouve d’ailleurs cette notion dans Rebecca, une statue de bronze. Cette autre porteuse d’eau, renvoie à l’idée de source, de forêt, de vie végétale. On la considère comme un prolongement de La femme à la cruche. Réalisée en 1927, elle est présenté dans le jardin où elle semble se confondre avec les arbres et naître de la terre.

Le lyrisme s’exprime à travers le caractère universel de l’oeuvre : les figures ne sont pas individualisées, les aspects féminins sont peu visibles et le dos est rigide. Quant à la poitrine, elle rappelle les formes cubistes. Cette sculpture est, selon moi, l'une des plus émouvantes. Non seulement, elle a une grande qualité de présence mais en plus, elle reflète le passage par le cubisme et par le primitivisme pour aboutir au classicisme amorcé par La femme à la cruche. Elle illustre ce traitement végétal du corps humain, mais aussi la manière dont l’artiste fait jaillir le corps du matériau avec ce qui importait le plus pour lui, garder la présence du tronc.


  Propos recueillis par L'Art Aujourd'hui
02.04.2002