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Expositions

Gros plan sur la photographie de mode

L'ICA de Boston explore la photographie de mode et s'interroge : comment concilier créativité et mercantilisme ?


Matthias Vriens
Nu masqué
Editorial pour Numero
2000. Photographie couleur
Courtesy Matthias Vriens et
Walter Schupfer, New York
© Matthias Vriens
À l'image de la photographie publicitaire, la photographie de mode a longtemps été considérée comme un art «appliqué», avec toutes les connotations péjoratives que ce qualificatif implique, particulièrement en France. Alors que le médium photographique parvient à se faire admettre en tant qu'expression artistique à part entière, ses applications au monde de la consommation sont dépréciées sous le prétexte qu'une oeuvre d'art digne de ce nom ne se doit aucun compromis avec celui-ci. C'est oublier que les grandes figures de l'histoire de la photographie ont souvent pratiqué cet art dans le cadre d'une profession, travaillant à la commande, investissant sans complexe l'illustration de mode et la publicité. Ces clichés tant célébrés que sont ceux de Hoyningen-Huene, Man Ray, Blumenfeld ou Penn ont souvent été extraits du contexte qui a permis leur élaboration, comme pour signifier que l'ennoblissement de la photographie ne peut passer que par l'occultation de ses liens avec la société de consommation… La tendance s'est aujourd'hui inversée. On reconnaît volontiers que mode et publicité ont constitué pour la photographie le terrain d'élaboration et de diffusion d'une nouvelle vision moderniste, les relais indispensables des avant-gardes des années vingt.


Banu Cennetoglu
Campagne pour Tsumori Chisato
Eté 2001. Photographie couleur
Courtesy Cennetoglu et zphotographic,
New York © Banu Cennetoglu
Aujourd'hui, la photographie de mode demeure une plate-forme d'échanges. A l'heure où l'image se fait de plus en plus présente, la réciprocité des influences entre photographie de mode et art devient patente. Mais l'enjeu commercial que représente de nos jours l'industrie de la mode autorise-t-il l'épanouissement de l'initiative artistique ? C'est ce que propose d'étudier l'ICA (Institute of Contemporary Art) de Boston avec l'exposition Chic Clicks. 240 photographies sont présentées, des 40 photographes les plus représentatifs de la scène actuelle, parmi lesquels Fred Aufray, Corinne Day, Philip-Lorca di Corcia, Richard Prince et Terry Richardson. L'exposition présente conjointement leurs travaux personnels et les fruits des commandes qui leur ont été passées. La juxtaposition de ces œuvres émanant de contextes différents permet de mesurer l'influence de la commande sur l'identité artistique du photographe.

Et l'on remarque alors que les photographes de mode, les professionnels, mènent des recherches personnelles fort éloignées de leurs travaux commerciaux. A l'inverse, les plasticiens appliquent à la photographie de mode leur style propre. Et c'est souvent là le motif de la commande. Les créateurs de mode recherchent la collaboration de l'artiste, qui constitue souvent une caution prestigieuse, en lui laissant champ libre. Ainsi quand Rei Kawakubo (Comme des Garçons) fait appel à Cindy Shermann, celle-ci, s'auto-citant, revisite sa série Fashion, réalisée au milieu des années 80 et s'auto-parodie dans une mise en scène pseudo-japonaise, vêtue des créations de Kawakubo. Il s'opère alors une mise en parallèle de deux univers artistiques proches. La trans-disciplinarité aujourd'hui largement invoquée fonctionne à plein…


 Raphaëlle Stopin
15.02.2002