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Expositions

Quand les compositeurs prennent le pinceau

Deux musées allemands explorent la carrière picturale d’artistes connus pour leurs autres talents.


Arnold Schönberg,
Le regard rouge,
1910, huile sur carton,
32 x 25 cm
© Schirn Kunsthalle
À la Schirn Kunsthalle de Francfort, c’est le compositeur d’origine viennoise, Arnold Schönberg (1874-1951), qui fait l’objet d’une vaste rétrospective. Cent cinquante tableaux ont été réunis, tous inscrits dans la mouvance expressionniste. Car le compositeur du Pierrot lunaire était fasciné par le rendu des émotions auquel parvenaient Munch ou Kokoschka dans leurs toiles. Schönberg commence à peindre à un moment de «crise». L’année 1908 constitue en effet une charnière dans sa carrière. Après s’être inscrit dans la tradition romantique, il vient de poser les jalons d’une nouvelle musique en abandonnant la tonalité dans son second quatuor à cordes tandis qu’à la suite du départ de son épouse, partie vivre auprès de Richard Gerstl, sa vie personnelle est dans la tourmente. Est-ce à dire pour autant que la peinture lui offrait un moyen de traduire des idées et des sentiments qu’il n’aurait pu exprimer autrement ? On est tenté de le croire en voyant les nombreux autoportraits qu’il compose, visions de visages flottants dans un espace indéterminé.


Merce Cunningham,
Sans titre
© Kunsthalle Bremen
À la Kunsthalle de Brême, deux expositions abordent cette problématique sous un angle très différent… En présentant les relations qui ont lié Marc Tobey, Morris Grave et John Cage pendant une dizaine d’années, «Klänge des Inneren Augen» invite à saisir l’importance des arts plastiques pour le compositeur américain. John Cage, qui avait d’ailleurs terminé sa formation auprès de Schönberg, déclarait à qui voulait l’entendre que Tobey lui avait appris à regarder le monde en lui faisant découvrir la beauté de la structure de l’asphalte lors d’une promenade à Seattle en 1937. Contrairement à celle de Schönberg, ses œuvres graphiques sont dans la droite ligne de ses compositions, toutes hantées par la notion de «silence». Signe même de cette continuité, Cage appelait ses partitions des «pages graphiques».

De la même manière, l’œuvre picturale de Merce Cunningham est dans le prolongement de son travail de chorégraphe. Dès les années 1950, dessins, esquisses et diagrammes constituent une documentation sur le corps et ses mouvements que Cunningham exploite lorsqu’il compose ses ballets. Une fois ces notations remplacées par les enregistrements vidéo, il se lance toutefois dans une création graphique totalement indépendante. Il décline figures animales et silhouettes de plantes d’un trait naïf, dans des couleurs vives, laissant une impression tantôt réjouissante, tantôt effrayante. À y regarder de plus près, on apprend toutefois à voir dans ces études un écho à son travail chorégraphique sur les postures «naturelles»…


 Zoé Blumenfeld
18.03.2002